YIARA 

MAGAZINE


La Mécanique des femmes, Louis Calaferte / Sade – Chloé Schwab


FEBRUARY 10, 2016





Un texte écrit par Chloé Schwab (MA Littérature française et comparée, Paris) qui reflète sa lecture du roman La Mécaniques de femmes par Louis Calaferte. L’approche de Chloé est aussi soutenue par sa recherche personnelle sur l’oeuvre le Marquis de Sade.

A text written by Chloé Schwab (MA Littérature française et comparée, Paris) who reflects on her reading of La Mécanique des femmes by Louis Calaferte. Chloé’s approach is also informed by her research on the work of le Marquis de Sade.


  • Il est question, comme le dit précisément le titre, des manifestations sexuelles et érotiques spécifiquement féminines.

Voilà qui est intéressant.
On m’avait conseillé ce livre à plusieurs reprises et je dois dire que le titre m’intriguait : comme une invitation au voyage, il invite à la découverte du fonctionnement des femmes. Allais-je en savoir plus sur l’intimité sexuelle féminine et sur la manière dont les femmes « fonctionnent » ?

À la fois poétique et cru, ce texte du paradoxe et de l’entre-deux, entre roman et récit, fiction et essai, est, comme le suggère le titre, de l’ordre du portrait multiple. Plutôt que de descriptions, ces portraits se construisent en actes, en dialogues et paroles érotiques. Les paragraphes juxtaposés sont autant de témoignages dont on dirait qu’ils sont offerts au narrateur-amant comme en confidence sur l’oreiller. Les femmes qui peuplent cette œuvre sont à la recherche du grand frisson sensuel et sexuel et la puissance érotique de cette représentation repose d’ailleurs sur l’impression qu’a le lecteur que ces femmes s’adressent directement à lui.

“Chaussures violettes au bout découpé.

‒ Les orteils ont quelque chose d’indécent.

Observant les siens.”

La Mécanique des femmes, p. 83

“‒ Je ne leur mets jamais de vernis. Je les laisse tels qu’ils sont, un peu nus, de cette façon, j’ai l’impression qu’ils sont mieux prêts à faire l’amour.”

“Si tu avais pu voir la gueule du type quand il a commencé à me tripoter et qu’il s’est rendu compte que dessous, j’étais tout en soie, ça lui a fait peur, j’ai compris qu’il ne me sauterait pas.”

La Mécanique des femmes, p. 126

Dressée sur le lit dans une danse nerveuse, elle tombe à genoux, m’enfouit la tête sous elle et, sans que j’aie réussi à la saisir, se jette à quatre pattes par terre, sa robe en désordre révélant une fine lingerie noire.

La Mécanique des femmes, p. 142
  • C’est sûrement un rêve érotique, que je me fais les yeux ouverts

Anecdotes ou fantasmes, femmes mariées, prostituée, tout se mêle dans ce texte assez fascinant. Seulement, je modère mon enthousiasme, oui, car j’ai tout de même à certains moments de ma lecture ressenti une forme de gêne. Alors, je me suis demandé pourquoi : est-ce la crudité du propos ? la représentation des femmes, la représentation du sexe ? Car, finalement, l’expression sans détours des discours et des fantasmes les plus intimes et singuliers qui soient, a par moments de quoi choquer certains.

« Lors de la sortie du film, Anne Ressat écrivait dans Lire : “Ce qui frappe avant tout chez Calaferte, c’est l’accumulation des mots qui disent le sexe. Une accumulation qui hypnotise le lecteur” ». (Baptiste Liger, « 1992 : La Mécanique des femmes par Louis Calaferte », L’Express, 11/11/2005. URL : http://www.lexpress.fr/culture/livre/1992-la-mecanique-des-femmes-par-louis-calaferte_810666.html) Ce qui me frappe moi, ce sont tous ces mots qui disent le sexe oui, mais le sexe masculin surtout. Ce motif est si présent et répété de manière si obsessionnelle qu’on pourrait dire qu’il est le motif central du texte.

‒ Je ne connais que bite, pine, queue, zob, membre, asperge, rouleau, verge, braquemart, est-ce que tu en connais d’autres ?

La Mécanique des femmes, p. 71

Quantité de mots le nomment, il est au cœur de toutes les pensées torrides des personnages féminins : sa forme sa taille son érection son foutre… Sans compter qu’à côté de cela, ces portraits de femmes adoratrices du pénis, bien que multiples tels un miroir brisé, montrent souvent des figures stéréotypées, qui se rêvent soit putains ou alors écolières ingénues. On ne compte plus les phrases du type « je ferai ma pute », « je ne sais pas pourquoi je suis aussi salope »… en concurrence avec des jeux de rôles où elles s’infantilisent « Je suis une pauvre petite délaissée, monsieur, une pauvre petite orpheline ». Ce n’est pas que je m’en offusque, et peut-être suis-je la seule, mais je suis assez peu sensible à ces représentations érotiques. Tantôt amusée, tantôt désolée, je suis en tout cas mise à distance du texte, qui n’est plus excitant en ce qui me concerne.

Le malaise que j’ai pu ressentir face en lisant Louis Calaferte m’a rappelé un sentiment semblable, un souvenir de lecture récent. En effet, j’ai eu l’occasion d’étudier l’œuvre romanesque du marquis de Sade l’an dernier dans le cadre de mon projet de mémoire et, malgré son statut de figure mythique de la littérature érotico-pornographique et le génie qui par ailleurs, traverse son œuvre entière jusqu’à sa correspondance, cette lecture m’a laissée de marbre et perplexe. Alors, pourquoi ? J’en reviens à mon idée de focalisation phallique : dans le roman sadien plus qu’ailleurs, le membre gonflé à l’érection triomphante pourfend, brise, défonce :

LE CHEVALIER. – M. Dolmacé était instruit par un de mes amis du superbe membre dont tu sais que je suis pourvu […]. « Je suis à l’épreuve du bélier, me dit-il, et vous n’aurez même pas la gloire d’être le plus redoutable les hommes qui perforèrent le cul que je vous offre ! » […] Je me présente… je veux au moins quelques apprêts : « Gardez-vous-en bien ! me dit le marquis ; vous ôteriez la moitié des sensations que Dolmacé attend de vous ; il veut qu’on le pourfende… il veut qu’on le déchire. »

Sade, La Philosophie dans le boudoir

Ce leitmotiv, voire cette obsession, est très bien représentée dans le film Marquis, une fantasmagorie autour de Sade prisonnier à la Bastille à la veille de la Révolution française. Alors que Marquis est en pleine séance d’écriture dans sa cellule, son récit donne lieu à une séquence onirique à l’écran. Dans ce qu’on peut aussi bien qualifier de vision cauchemardesque, on voit des petites figures chapeautées qui tiennent un bélier et le font s’entrechoquer avec un corps de femme à quatre pattes dont on ne voit que les jambes, le cul et le bas du jupon. Après plusieurs chocs, le cul est ouvert, le corps fendu en deux. L’érotisme poussé à son paroxysme, dans l’imaginaire sadien.

Dans ce même film de marionnettes qui date de 1989, le sexe du Marquis est un personnage à part entière qui se prénomme Colin. On voit ici Marquis l’écrivain, qui a construit du fond de sa cellule un petit théâtre de fortune dans lequel il dirige et met en scène son sexe doué de parole.

Au-delà de la violence qui surgit dans les manifestations sexuelles chez Sade, comme la métaphore du bélier le montre, ou de la crudité chez Calaferte, ce qui m’interpelle en fait après réflexion c’est que ces grands classiques de la littérature érotique participent d’un petit théâtre phallique, un peu à la manière de celui de Marquis et Colin. Si la bite/pine/queue est l’objet d’une telle fascination dans ces textes, c’est peut-être que cette et littérature, que ce soit au xviiie siècle ou dans les 60’s, décennie de la libération sexuelle, reste une littérature écrite par les hommes et pour les hommes.

C’est la raison pour laquelle, malgré l’ambitieux et intéressant parti pris de Louis Calaferte dans son œuvre, à savoir de se mettre à la place de femmes pour explorer le désir de leur point de vue, je n’ai pas eu l’impression d’y voir au fond, ce qui est de mon point de vue, « la mécanique des femmes ». C’est cette même raison qui me fait trouver l’œuvre sadienne pas ou peu émoustillante. Tout tout tout sur le zizi. Contrairement à ce qu’on pourrait penser ce ne sont pas les vidéos pornos qui ont inventé ce mode narratif monomaniaque de la relation sexuelle, il est bien plus ancien et bien plus ancré ; et il explique en partie je pense, pourquoi les femmes ne sont pas les plus grosses consommatrices de pornographie, que ce soit en littérature ou en général. Heureusement, des courants alternatifs émergents, notamment en ce qui concerne les films. Je pense ici au Berlin Porn Festival, mais surtout au Festival du Film de Fesse, mon préféré.

Et si on s’intéressait plus aux fesses ?

Références:
Le Festival du Film de Fesses : http://www.lefff.fr/

– Chloé Schwab


An undergraduate
feminist art & art history
publication